Christian à la conquête de l'west

 

Voici un petit résumé de mon périple sur la Route 66 avec quelques photos et quelques phases de mon aventure américaine.

La première émotion : rouler dans Chicago accompagné par les voitures de shérifs et voir la tête des américains ayant du mal à croire que nous partions pour Los Angeles en vélo.

La première arrivée sur le parking d'un motel vers Lincoln dans l'Illinois est surprenante : un bruit étrange venu de nulle part va aiguiser ma curiosité et, après une bosse, comme dans un rêve c'est un décor de métal dans le creux du vallon. Nous sommes sur un parking de routiers, des centaines de trucks, cavaliers des temps modernes, sont là. Le bruit étrange, ce sont les moteurs qui ne s'arrêtent jamais, jour et nuit, afin de garder la climatisation.

Notre entrée dans le restaurant se remarque. Nous sommes épais comme les pinces oreilles face à des chauffeurs de trucks pesant 120 kg , voire beaucoup plus. C'était du grand spectacle.

La deuxième étape fut pour moi très très dure : 220 km avec 45 à 48°. Fatigué par mon voyage, ce fut l'étape pendant laquelle je me suis demandé ce que je faisais là.

Malgré tout, à notre arrivée à Saint Louis sur le Missouri un anneau de bienvenue se dessine dans le ciel, haut de 192 mètres , arche en acier de Gatenay, une véritable œuvre d'art d'architecture moderne. La lumière de la ville et son arche à la tombée de la nuit furent féeriques et ont contribué à me remonter le moral.

Pour l'arrivée dans l'Oklahoma, les puits de pétrole commencent à apparaître. Cette vision restera avec nous pendant presque tout le parcours. Les lignes droites sont monotones et les joints des autoroutes en béton nous détruisent les épaules. Les villes de Tulsa et de Vinita nous accueillent avec une architecture différente et les montagnes commencent à apparaître avec des couleurs qui me rappellent les couleurs de la latérite.

Les étapes traversant le Texas me rappellent mon enfance avec les films de cowboys et, surprise, je me rends compte qu'à vélo j'allais passer deux fuseaux horaires. Le premier m'a valu de rouler très fort croyant que j'étais en retard sur le délai mais à l'arrivée les organisateurs riaient en me voyant l'air inquiet alors qu'en fait j'étais largement en avance mais je n'avais pas changé l'heure à ma montre.

Le Nouveau Mexique révèle la véritable identité de la Route 66. Dans chaque village se succèdent les vieilles pompes à essence, les voitures des années 1950 et les publicités omniprésentes. Le monde des pionniers s'offre à nos yeux comme un décor de théâtre.

Les plaines avec des côtes assez raides nous annoncent les futures étapes de montagne mais, malgré tout, nous remotivent car je dois reconnaître que j'en avais assez des lignes droites de plus de 80 km avant de trouver un virage. Les troupeaux de bisons et des villages indiens commencent à faire partie du décor et le soleil se fait de plus en plus fort avec les couchers qui embrasent le ciel.

Lors de la traversée de Conway et d'Amarillo, non loin d'une casse d'avions perdue dans un coin désertique, nous traversons plusieurs villes fantômes. Elles ressentent un passé très fort et ceux qui y habitent encore font partie du décor comme dans un vieux film. Une impression étrange nous envahie à leur approche.

Dans cette région, les troupeaux de vaches ont remplacé les bisons et les 4x4 les chevaux.

L'arrivée dans la ville étape de Tucumcari nous fait oublier la fatigue de la première partie de ce voyage. La ville est en fête : rodéos, cow-boys partout dans les rues, énormément de chevaux, luttes à l'ancienne entre les cow-boys, défilés costumés. Le clou du spectacle est le concours de gros. A côté d'eux, nous ressemblons plutôt à des porte-clés.

Le seul détour, mais pas le moindre en quittant la Route 66, c'est pour attaquer les étapes pour rejoindre le Colorado, le parc San Isabel National Forest puis le Rio Grande, San Juan, Moutain Indien.

Les pistes ne sont nivelées que par la nature et sillonnent à travers des strates de calcaire et de grès à l'intérieur de labyrinthes rocheux aux formes et aux couleurs insolites de beauté. S. Spielberg s'en est servi pour le tournage d'Indiana Jones.

Malgré ce décor somptueux, les étapes sur pistes furent terriblement cassantes pour le matériel et pour les hommes. Les abandons ont commencé et je n'aurais jamais pensé être capable de rouler dans ces conditions. La vigilance et une position d'équilibriste étaient omniprésentes. Le corps tout entier a souffert et je n'en reviens pas que mon vélo ait tenu dans ces épreuves.

Pourtant, malgré ces difficultés, nous avions sous la canicule un décor gigantesque : des eaux paisibles, des cascades tumultueuses, des biches et des chamois.

Les étapes suivantes nous propulsent vers Rigway, Cortez, toujours dans un décor magnifique. Nous naviguons sans cesse entre 900 et 2.500 mètres en permanence. Les quadriceps prennent du volume. Tant mieux car c'est l'étape la plus haute de 3.600 mètres , en étant partis de 550 mètres , avec une montée de 75 km de long. Elle fut magnifique par les paysages mais terrible pour l'organisme. Longue, très longue fut la montée. Difficulté pendant plusieurs heures pour se ravitailler et pour boire car boire une gorgée d'eau nous faisait suffoquer. Le manque d'oxygène était impressionnant et à la limite de l'angoisse. Mes yeux scrutaient sans cesse les hauteurs. J'avais l'impression que cette montée ne s'arrêterait jamais. A chaque virage, on découvrait toujours une montée, bouche grande ouverte à la recherche d'oxygène. Trempés, en manque de nourriture et d'eau, nous avons été obligés de nous arrêter en haut du col pour faire une halte afin de manger et boire car certains étaient au bord de l'évanouissement. D'ailleurs, certains manquaient malheureusement à l'appel du soir.

La moyenne était entre 6 et 8 % avec des passages de plusieurs kilomètres à 14 %. Ces grandes étapes m'ont appris que l'organisme pouvait aller chercher des forces cachées et les dernières graisses ont été utiles pour taper dans les réserves.

Monument Valley, Grand Canyon : ces arrivées furent grandioses. Vision de Monument Valley quatre heures avant d'y arriver. Des lignes droites à n'en plus finir, des couleurs dignes d'un tableau de maître, ont renforcé mon émotion en arrivant au pied de cette montagne. Nous sommes accueillis par les indiens Navajo, propriétaires de ces lieux. Etre là en vélo au milieu de toute cette immensité a été pour moi une récompense des efforts fournis et je garderai cette image dans ma mémoire pendant très longtemps. C'est comme dans un musée sauf que là c'est le vent, le sable, le temps, qui ont contribué à cette construction, dame nature en plein désert rivalisant de beauté.

Les indiens Navajo vivent du tourisme et les bijoux, objets d'art de fabrication artisanale, sont maintenant leur terrain de chasse.

L'Utah, les villes de Saint Georges, Caliente nous accueillent pour les étapes suivantes. Nous retrouvons les pistes. L'une d'elles sera la plus dure : 90 km où même les voitures ne pourront pas passer. Il a fallu parfois porter les vélos sur 200 voire 300 mètres . Les cailloux, le sable, les trous faisaient la réalité de cette étape. Nous décidons de rester groupés car nous risquions de manquer d'eau sans les voitures suiveuses. Enfin, au bout de 34 km , une voiture avait pu nous rejoindre par un chemin de traverse. Quelle joie de pouvoir boire de l'eau fraîche et de s'arroser copieusement pour rafraîchir le corps. En effet, les battements cardiaques trop rapides nous faisaient sentir que les limites n'étaient pas loin. Un long coup de klaxon pour nous saluer nous fait remarquer la présence d'une voie ferrée pas très loin. Un train sorti de nulle part, trois locomotives diesel tirant plus de 120 wagons d'une longueur sans fin, apparaissait comme un mirage à nos yeux.

Les étapes qui nous amènent à Las Vegas nous font aborder la route défoncée et les pistes. J'ai des douleurs dans le dos, dans les bras. Je connais parfaitement l'emplacement de mes côtes tellement la douleur est forte à cause des vibrations. Les pistes sont complètement défoncées, les cailloux sont à éviter en permanence.

Etapes terribles et pourtant Las Vegas nous apparaît à la tombée de la nuit comme une rivière de diamants. Ville complètement surréaliste : les décors sont grandioses, les casinos immenses, les usines à « bouffe » également. Et je dois dire que l'arrivée dans le hall d'hôtel en traversant les centaines de machines à sous en tenue de cycliste, les traits tirés, en sueur, sous le regard indifférent des joueurs omnibulés par leurs machines à sous, me laisse perplexe sur la réalité de ce lieu.

Nous quittons l'Utah pour rentrer dans le Nevada, et les lumières féeriques de Las Vegas pour nous diriger vers la Vallée de la Mort.

Cette vallée porte bien son nom. Une immensité où l'on plonge sans scaphandre. La nature impose immédiatement le respect. La vision de cette étendue de sel blanc comme la neige nous incite au calme et d'être à l'écoute de notre corps.

La chaleur ne cesse d'augmenter. Des 34° du départ, celle-ci montera vers midi à 58° sur mon compteur. L'eau manque. Il fallait changer l'eau des bidons tous les 4 à 5 km . Un test a été fait : l'eau est montée à 32° dans un bidon au bout de cinq minutes.

Ma seule préoccupation était de consommer mon eau calmement. La tentation était de boire beaucoup mais il fallait toujours en garder au cas ou la voiture suiveuse tomberait en panne. Le cadre et le guidon du vélo sont brûlants. Mes mains et mes pieds me brûlent. Le bout de mes oreilles et les lèvres commencent à me piquer et à enfler. Le vent nous projette le sable mélangé au sel dans le visage et les yeux brûlent malgré les lunettes. La vision n'est ainsi plus très nette.

A la fin de cette étape, après avoir monté un col de 58 km pour sortir de la Vallée, la surprise est de taille. Le seul endroit habité nous apparaît comme un des nombreux mirages vus dans le désert. Furnace-Creek, une oasis où nous pourrons nous ravitailler en nourriture et surtout en boisson fraîche. Ce n'est pas un motel qui nous attend pour dormir mais des lits de camp installés dans des baraques en bois avec une douche extérieure et des ventilateurs au plafond en guide de climatiseurs. Les sauterelles et les scorpions sont les seuls animaux vivants que j'ai vus en arrivant.

Malgré tout, j'ai passé une bonne nuit étant épuisé et j'ai fait des rêves où me situer sur cette terre était difficile.

Le lendemain, une autre étape de désert nous attendait : le désert de Mojave. La même chaleur avec le sable mais sans le sel et plus courte, 120 km au lieu des 180 km de la Vallée de la Mort.

Les étapes qui nous amènent vers Los Angeles étaient plus calmes. On retrouvait ces grandes lignes droites vallonnées et un peu monotones mais ô combien faciles après toutes ces étapes où l'extrême était présent. Seul un orage violent est venu compliquer notre route. Le passage à Panamint Springs nous faisait sentir combien l'Amérique profonde était isolée avant d'aborder l'immense ville de Los Angeles.

L'accueil y fut grandiose, escortés par une horde de shérifs jusqu'au bord de mer. Malgré les marques de mes brûlures, je n'ai pu m'empêcher de me jeter tout habillé dans le Pacifique. J'en rêvais depuis plusieurs jours.

Ensuite, nous avons été invités par le Maire de Los Angeles à nous rendre aux Studios d'Hollywood où une réception nous attendait.

Malgré cet accueil, j'étais triste et vide. Je réalisais que c'était fini et j'étais partagé entre l'envie de repos et l'envie de rester dans cette aventure humaine extraordinaire, grandiose. La tête concentrée sur l'épreuve avec l'envie de réussir n'était pas embarrassée des soucis quotidiens qui nous gâchent la vie et qui, dans ce genre de difficultés, nous paraissent bien futiles.

Ce résumé est long et trop court à fois. Il est difficile de faire passer les sensations ressenties pendant ce périple.

Je crois que j'aurai du mal à faire plus dur mais tout a été en grand : la route, les distances, les lignes droites, le vent, la chaleur, les boissons, les repas, les douleurs, les joies, et la sensation ressentie à l'arrivée où les larmes nous envahissaient tous.

Maintenant, il me faut digérer tout ça et j'ai la confirmation que participer à une épreuve, quelle qu'elle soit « ce n'est pas rechercher un exploit, c'est une découverte intérieure, c'est vivre une vie riche, remplir quelque chose de beau».

Il me reste à préparer un autre périple plein d'émotions.

Pour parcourir ces 4.500 kilomètres :

Boissons par jour  :

•  10 à 12 litres d'eau

•  4 à 5 litres de Coca Cola

sauf dans le désert  :

•  18 à 20 litres d'eau pendant l'étape qui aura duré 9h30 sous une moyenne de 49°, avec le soleil au zénith à 58°.

Incroyable : une seule crevaison !

•  2 roues à jeter en fin d'épreuve

•  8 patins de freins

•  1 chaîne

•  2 cales de pédales

•  L'étape la plus rapide : 200 km en 6h05 sous 35° à 33 km/h

•  L'étape la plus lente : 180 km en 10h30 dans la Vallée de la Mort

•  La moyenne de l'épreuve a été faite à 24,3 km/h

•  9 Kg de moins

•  Le mental à toute épreuve a été nécessaire plus que la force physique.

C'est pourquoi je remercie mon épouse qui a su m'encourager sans être négative même dans les moments difficiles ou j'avais une tête de déterré. Je remercie également les amis qui, par leurs messages d'encouragement, m'ont soutenu plus qu'ils ne le pensaient car pour moi lire ces messages a été des moments d'émotion et d'esprit d'équipe extraordinaires.

Merci à tous.

Saclay, le 25 août 2005

Christian DECHEPY

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